Lorsqu’on évoque les termes entrepreneuriat, mode et Afrique, le nom d’Adama Paris résonne comme une évidence. Née Adama Amande Ndiaye, cette entrepreneure sénégalaise est une figure emblématique de la mode africaine. Styliste, femme d’affaires et productrice d’évènements, Adama multiplie les casquettes et s’illustre en Afrique comme à l’international. Quel est son parcours ? Que peut-on apprendre de l’histoire de celle qui milite en faveur de l’autonomisation socio-économique des designers africains ? On en dit davantage dans cette Fanaka story.
De Adama Ndiaye, future banquière à Adama Paris, papesse des Black Fashion Week
En 1977, naquit Adama Amande Ndiaye à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, de parents sénégalais. En fille de diplomate, les fonctions de son père lui permirent de vivre dans plusieurs pays d’où elles puisent ses diverses influences personnelles et professionnelles.
Son adolescence, elle la passe donc un peu partout : Allemagne, Belgique, Côte d’Ivoire, Dakar, …. Elle effectue ainsi sa scolarité dans les quatre coins du monde, au gré des déménagements de sa famille. Elle décroche sa licence en sciences économiques à Nantes, ville où elle commencera une carrière de banquière. Mais cette dernière fut brève. En effet, le virus de la mode qui l’avait piquée à 9 ans lors d’un défilé d’Yves Saint Laurent auquel elle a assisté avec sa mère ne l’avait jamais quittée. Elle se décida alors de laisser libre cours à ses passions premières et entama sa reconversion professionnelle dans ce secteur bien loin de son domaine de formation de base.
Déterminée et bien décidée à devenir une professionnelle reconnue dans son nouveau choix de carrière, Adama Ndiaye prend alors des cours de couture et de modelage dans la capitale française, et trouve son premier stage dans l’atelier d’une Libanaise à Saint Germain. Avec elle, elle apprit les rudiments du métier.
Au fil des années, l’apprentie couturière travailla sans relâche, saisit les opportunités et multiplia les expériences : couture, stylisme, modélisme, tout y passe. Et un beau jour, en 2001, le déclic ! La jeune femme d’à peine 24 ans, sûre de ses capacités, répondit à l’appel de l’entrepreneuriat et décida de voler de ses propres ailes sous sa propre marque. Accompagnée de sa sœur, elle se rendit à l’Institut National de la Propriété Industrielle pour enregistrer son nouveau-né. Et il fallait bien sûr lui trouver un nom. Sa sœur lui suggéra alors « Adama Paris », le surnom dont elle était affublée pour la distinguer d’une autre Adama. La marque Adama Paris est donc ainsi née ! Ce fut le premier d’une succession de marques et business florissants.
Des évènements d’envergure pour promouvoir les talents africains
Une fois sa marque lancée, l’entrepreneure fait son petit bonhomme de chemin. Timidement d’abord, avant d’être lancée par Who’s Next, un salon international qui, depuis 1994, présente les nouvelles collections des marques de Prêt-à-Porter aux professionnels de la mode. Les créations d’Adama Paris séduisent le public. Ce qui lui permit d’enregistrer plus d’une centaine de commandes, « ce qui est énorme à l’époque », précise-t-elle. C’est le début de la consécration.
La jeune créatrice commence à se faire un nom dans le mieux sélectif de la mode en France, mais aussi en Afrique. Elle commence à fabriquer au Maroc et caresse l’idée de défiler dans son pays d’origine, le Sénégal, pour y présenter ses créations. Mais elle se rendit vite compte qu’il n’y avait pas de Fashion Week à Dakar. Elle décide alors d’y remédier et crée, en 2003, la mythique Dakar Fashion Week, le rendez-vous incontournable de la mode africaine au cours duquel sont mis à l’honneur divers créateurs et une mode inclusive et écoresponsable. Dès le lancement de cet évènement devenu emblématique, l’intérêt pour l’expertise de l’entrepreneure s’est très vite développé et les sollicitations pour des services de consultance ont rapidement suivi : Gambie, Mali, Angola, Côte d’Ivoire, etc. On note aussi une croissance des acheteurs pour ses créations. Ces derniers sont originaires de pays africains, mais pas uniquement. Certains viennent de Londres ou de Paris, ce qui témoigne d’un réel marché qui ne se limite pas qu’au continent africain.
Et ce n’est pas tout. La promotrice de la créativité afro a aussi à son actif, en plus des Afrika Fashion Awards (devenus les Trophées de la Mode Africaine), Adama Paris Fashion Events en 2010, puis Black Fashion Xperience, créé 2 ans plus tard. Le premier est une structure visant à trouver des financements et des lieux pour les évènements mode des créateurs africains et à développer les black fashion dans plusieurs capitales mondiales, alors que le second met en lumière des talents venus d’horizons différents et propose une mode à la portée de tous. Il s’agit d’une vitrine de la mode inspirée de la culture noire, à l’instar de la Black Music.
L’entrepreneure qui a conquis l’Afrique est tout de même un peu frustrée de ne pas pouvoir défiler en France. Elle décide d’organiser une semaine de la mode qu’elle appelle Black Fashion Week. L’objectif est de faire connaître la création noire contemporaine au-delà des frontières africaines. Elle sollicite de grandes marques pour l’accompagner dans cette nouvelle aventure. On lui propose de changer le nom en Africa Fashion Week, afin d’obtenir un sponsoring. Ce qu’elle refuse catégoriquement.
À force de persévérance et d’abnégation, Adama Paris réalise enfin son défilé, dans un super lieu à Paris en face de Chanel digne d’accueillir cette manifestation unique en son genre et qui verra un défilé de vêtements de haute-couture de créateurs noirs, d’Afrique et d’ailleurs, durant 3 jours, du 5 au 7 octobre 2012. D’autres grandes villes ont rapidement suivi pour l’accueil de la Black Fashion Week : Montréal, Baya, Prague… Rien ne pouvait plus désormais retenir la Papesse des Black Fashion Weeks.
Fashion Africa Channel et Saargale par l’infatigable serial entrepreneure
En 2014, la productrice d’événements fonde Fashion Africa Channel, la première chaîne de télévision africaine 100% mode disponible sur les bouquets Canal +. La chaîne accessible dans 42 pays dont 12 en Europe et 13 en Amérique vise à promouvoir toutes ces fashions weeks africaines. Elle met aussi en lumière ces créateurs du continent et de la diaspora qui n’avaient pas de télévision spécifique à eux. L’entrepreneure continue ainsi de promouvoir la mode issue du continent dans toute sa diversité à travers le monde. Avec ses équipes, elle éduque le regard que les gens portent sur le continent africain et ses talents. Grâce à cette vitrine, elle valorise le made in Africa et montre au monde entier que l’Afrique produit aussi du luxe.
En 2014 toujours, la serial entrepreneure est classée parmi les 10 personnalités les plus influentes en Afrique par RFI. Puis, un an plus tard, en 2015, elle fait partie du Top 50 des femmes les plus puissantes d’Afrique. Quelques années plus tard, celle qui prône la multiculturalité et fait pourtant l’objet de critiques en France pour « communautarisme » se jette corps et âme sur un nouveau projet : Saargale (rendre hommage en Wolof, la langue la plus parlée au Sénégal). En 2019, le projet voit le jour et celle qui soutient l’entrepreneuriat et l’autonomisation féminins voue un véritable hommage à son continent dans ce concept store sis à l’Avenue Daumesnil à Paris.
On y trouve du mobilier, des habits, des produits de beauté et du bon café « Made In Africa Made by Africans ». Saargale rend ainsi hommage à toute personne qui fabrique en Afrique, peu importe sa couleur. « Je voulais juste que cette chaîne de valeur revienne finalement en Afrique : mode, meubles, récup » souligne la fondatrice. Exclusivement pensé pour une mode éthique et chic, cet espace entièrement dédié aux créateurs du continent propose ainsi des pièces d’exception à la vente au public parisien et de passage.
En octobre 2022, celle dont les créations sont portées par la chanteuse Beyoncé ou encore l’actrice espagnole Rossy de Palma est listée parmi les 500 personnalités faisant partie du cercle très sélectif de la mode par The Business of Fashion, le média numérique le plus influent du secteur.
Malgré son portefeuille d’entreprises dirigé avec brio, Adama Amande Ndiaye continue de rêver grand pour l’Afrique. Elle veut une industrie textile forte à Dakar, mais par-dessus tout, elle veut propulser et continuer à vendre une mode africaine responsable, tout en préservant les vrais tissus africains.