En Afrique, le système de santé est souvent défaillant et de nombreux pays font face à des défis importants tels que le manque d’infrastructures ou des procédures inefficaces concernant les soins médicaux. Cela engendre bien souvent des conséquences dramatiques pour les patients. En Côte d’Ivoire, une énième tragédie médicale est à la base d’une innovation qui sauve désormais des milliers d’Africains. Il s’agit du Pass Santé Mousso, un dossier médical personnalisé disponible en ligne. Nous sommes allés à la rencontre de Corine Ouattara, la créatrice de cette innovation médicale made in Côte d’Ivoire qui facilite l’interaction entre le patient et le personnel médical.
D’une tragédie médicale à la naissance d’une solution santé
C’est en Mars 2014 qu’Awa Fadiga, célèbre mannequin ivoirien de 23 ans, décède à l’hôpital des suites d’une agression, les médecins n’ayant aucune information sur le passé médical de la patiente. Cet événement fait écho chez Corine Ouattara qui souffre d’asthme, de sinusite, d’allergies et d’épilepsie partielle. Elle pouvait donc à tout moment avoir une crise et être confrontée, comme Awa, à un retard de prise en charge dû à une indisponibilité d’informations médicales personnelles. C’est ainsi qu’est né le Pass Santé Mousso, “un carnet de santé numérique matérialisé sous la forme d’un bijou (bracelet ou médaillon) ou d’une carte que le patient a constamment en sa possession. Le dispositif permet à son utilisateur de disposer en temps réel, de toutes ses informations médicales personnelles afin de les mettre à la disposition du personnel soignant pour une prise en charge efficace, rapide et efficiente. “ nous confie Corine. Avec ce Pass Santé, l’entrepreneure veut donner de la voix aux patients emmenés aux urgences et qui sont incapables de s’exprimer, augmentant ainsi, leur chance de survie.
Ainsi, le Pass Santé, en retraçant le parcours médical du patient et en établissant son profil santé, accélère la prise de décision et améliore l’efficacité de la prise en charge des malades. En outre, ce bijou technologique médical fait bien plus. Il permet de suivre et de signaler les cas de transmissions de maladies, fournit des mises à jour et des alertes fiables aussi bien aux patients qu’aux autorités médicales. Il facilite également le déploiement de la télémédecine et permet une inclusion plus aisée des produits d’assurance médicale.
En somme, le Pass Santé Mousso améliore et accélère le diagnostic pour une prise en charge plus efficace. Les données supplémentaires récoltées permettent également d’améliorer la précision du travail des autorités de surveillance épidémiologiques. Pour Corine, cela est très utile pour mieux apprécier la prévalence de maladies comme le VIH-SIDA, la Covid-19, etc.
Des débuts modestes, une base solide et des représentations dans la sous-région
Consciente de ses limitations en matière de déploiement rapide, la créatrice du Pass Santé Mousso a privilégié les partenariats pour des phases pilotes ailleurs que dans son pays natal, la Côte d’Ivoire. Cela lui a permis de tester la solution dans des pays comme le Sénégal, le Bénin et le Togo.
Pour accéder à la solution aujourd’hui, une personne intéressée se rapproche d’un centre hospitalier partenaire, qui lui met à disposition le support et l’assistance pour la création d’un compte. L’enrôlement se fait aisément mais nécessite le consentement éclairé du patient pour la création de son fichier électronique de santé. La sécurité de la solution aussi bien en termes d’ajout de données que de droit d’accès est une préoccupation importante pour Corine Ouattara et son équipe. Des solutions ont aussi été trouvées afin de garantir une sécurité maximale à l’innovation medtech. Par exemple, “pour qu’un médecin puisse accéder aux informations du patient, il lui faut être inscrit à l’Ordre des médecins et être affiliée à un centre de santé afin que les responsabilités puissent être situées.” poursuit Corine.
Une fois les informations renseignées, le Pass Santé est fonctionnel et peut se porter au cou, au poignet ou être glissé dans son portefeuille. Dans une volonté d’inclusion médicale, il ne coûte que 3500 CFA avec un abonnement annuel de 2000 FCFA. La solution est ainsi maintenue au plus bas prix possible afin de participer à la réalisation de l’objectif de développement durable de la santé pour tous. Par ailleurs, les centres hospitaliers partenaires peuvent décider d’apporter des modifications au design, ainsi que des options supplémentaires pour leurs patients ou leur gestion administrative. Les centres peuvent aussi disposer de la solution de Corine Ouattara en marque propre.
Désormais, c’est plus de 23 000 personnes dont 80% de femmes et d’enfants qui disposent du Pass Santé Mousso en Côte d’Ivoire et qui l’utilisent au quotidien. Pour des bénéficiaires en dehors du pays, le principe est le même, mais la solution peut revêtir d’autres noms et s’expérimenter sous la forme de projets pilotes.
Une innovation médicale, un impact social majeur et des défis
Au vu de toutes les possibilités incroyables qu’offre le Pass Santé Mousso, on aurait pu s’attendre à un envol remarquable dès la disponibilité de la solution. Et pourtant, ce ne fut pas le cas, indique la fondatrice du Passs Santé. En effet, afin de pouvoir déployer la solution, Corine a lancé une campagne de financement participatif sur Fiatope, une plateforme de crowdfunding. Mais la voix des sans voix dans nos hôpitaux n’a malheureusement pu récolter la somme espérée. Cela s’explique notamment par “l’immaturité” des accompagnateurs. Il faut savoir qu’une innovation n’est adoptée que lorsqu’elle est comprise. Or en 2014, même si on parlait déjà de virage numérique, les acteurs sociaux ne faisaient pas suffisamment confiance aux solutions numériques, surtout en termes de rentabilité ; explique l’entrepreneure. Il a fallu attendre la crise sanitaire due à la Covid-19 pour que les acteurs majeurs du système sanitaire en Côte d’Ivoire comprennent vraiment l’urgence de doter les structures sanitaires de telles solutions innovantes”, termine-t-elle.
Par ailleurs, la reconnaissance du Pass Santé Mousso par l’Etat ivoirien en tant que “ambassadrice de l’innovation par le Ministère de l’économie numérique” et son intégration dans le programme Startup4gouv ont permis au Pass Santé Mousso d’avoir de la visibilité. Pour son déploiement, la solution medtech avait besoin d’avoir accès aux marchés, aux possibilités et aux opportunités au même titre que les solutions étrangères avec de plus grosses ressources (humaines, logistiques et financières). “Les solutions locales ne sont pas particulièrement privilégiées et cela rend le marché plus difficile à pénétrer.”, se désole l’Ivoirienne. Mais, heureusement qu’elle a pu compter sur des organismes comme l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) ou encore le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) qui ont fait appel à son équipe pour lancer un pilote sur son projet, durant la pandémie. Sa résilience lui a aussi valu d’être finalement accompagnée par les ministères ivoiriens de l’économie et de la santé. Des programmes d’aides comme le Women in Africa ont également cru en elle et l’ont aidée à disposer d’un financement de 10 000 euros. Un contrat avec un centre de santé lui a aussi offert la possibilité de gérer 1500 patients.
Le Pass santé Mousso est un outil de gestion sanitaire disponible en temps réel. Il facilite la prise en charge du patient et permet de sauver des vies. Des fonctionnalités supplémentaires sont attendues ainsi qu’un déploiement dans d’autres pays du continent. Sa créatrice se forme en parallèle à de nouveaux horizons, toujours dans le but de rester performante. Cela l’a d’ailleurs conduite à entamer un master en management des systèmes d’informations santé afin de mieux comprendre l’environnement dans lequel intervient sa solution, le Pass Santé Mousso.