En quittant le continent africain pour les États-Unis, Ham Serunjogi et Maijid Moujaled étaient sans doute loin de s’imaginer que leurs études dans un pays étranger seraient à l’origine de la plus grande plateforme mobile de transfert d’argent transfrontalier en Afrique. Pourtant, ils l’ont fait ! Chipper Cash, la solution qu’ils ont mise au point, est aujourd’hui disponible dans sept pays africains, ainsi qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni. Nous vous emmenons à la découverte de ce tandem de choc qui a résolu les tracasseries liées aux transferts de fonds transfrontaliers, et révolutionné la FinTech en Afrique subsaharienne.
La rencontre décisive d’un Ougandais et d’un Ghanéen
Ham Serunjogi est né et a grandi en Ouganda dans une famille de classe moyenne. Sa famille possédait une ferme et son père dirigeait une entreprise d’opérations informatiques, d’après Forbes. Le jeune Serunjogi qui était aussi doué pour les études que pour l’athlétisme, a commencé à nager en compétition avant ses 10 ans. En 2010, ses parents l’inscrivent à l’Académie Aga Khan de Mombasa (AKA Mombasa), au Kenya, un lycée d’excellence qui prépare les élèves à une vie caractérisée par le leadership et le travail d’équipe. En parallèle, ils l’encouragent à poursuivre les compétitions de natation. Il réussit ainsi à intégrer l’équipe olympique des jeunes Ougandais et à participer aux Jeux Olympiques de la Jeunesse de Singapour en représentant son pays en 2010.
À l’académie, le jeune Ham développe un vif intérêt pour le numérique et se montre un excellent élève. Son travail très remarqué lui permet de décrocher une bourse d’études pour les États-Unis. Ainsi, en 2012, il déménage dans l’Iowa pour ses études universitaires au Grinnell College avec une spécialisation en économie. Il y rencontre le Ghanéen Majid Moujaled, un passionné d’informatique qui dirigeait à l’époque un groupe de codage populaire. Les deux jeunes étudiants se lient aussitôt d’amitié. Ils combinent leurs talents respectifs et développent une application permettant aux utilisateurs d’envoyer de courts enregistrements vocaux cryptés qui s’autodétruisent après lecture. Cette solution intelligente anticipait déjà la montée des problèmes de confidentialité dans la technologie. Elle marque aussi les prémisses de leur aventure entrepreneuriale.
Au cours de leurs discussions, les deux jeunes inventeurs évoquent divers sujets dont les défis liés au transfert d’argent transfrontaliers auxquels beaucoup d’africains, eux y compris, étaient souvent confrontés à cette époque.
En effet, deux ans plus tôt, le jeune Serunjogi alors lycéen, avait vécu une expérience qui l’avait beaucoup marqué. Son père qui devait envoyer de l’argent en Afrique du Sud dans le cadre de ses activités de natation, avait eu toutes les peines du monde à réaliser la transaction par virement bancaire. Il avait dû quitter l’Ouganda et se rendre en Afrique du Sud afin d’effectuer le règlement en mains propres et en espèces. Cette expérience vécue, loin d’être isolée et révolue, poussa le duo d’amis à réfléchir à des moyens de faciliter les transferts d’argent en Afrique. Mais avant d’en venir à la solution de Serunjogi et Moujaled, faisons d’abord connaissance avec ce dernier.
Comme son acolyte, Maijid Moujaled est né et a grandi en Afrique, au Ghana, avant d’aller aux États-Unis d’Amérique pour étudier les sciences informatiques au Grinnell College (2010-2014). Il y a cofondé un club de développement d’applications mobiles, le Grinnell Appdev, qui a été un creuset de développement pour plusieurs applications destinées aux étudiants. Parmi ces-dernières, G-Licious, une application pour le programme de restauration de l’université, a remporté le prix du disque d’or après son lancement sur iTunes, Google Play et Microsoft Windows Store.
Après leurs études de premier cycle à Grinnell, les deux jeunes diplômés ont travaillé pour de grandes entreprises technologiques de la Silicon Valley. Moujaled a travaillé pour Yahoo en tant qu’ingénieur logiciel iOS, de 2014 à 2015, et pour Flickr, où il a participé au lancement d’une application Apple Best of 2014 pour iPad. Il a aussi monnayé ses compétences dans le développement de produits technologiques pour imgur, une société basée à San Francisco qui exploite un site d’hébergement d’images.
Serunjogi quant à lui, a travaillé pour Facebook, dans leurs bureaux de Dublin où il était chargé des partenariats avec les plus grands annonceurs sur le marché britannique, entre 2016 et 2018.
Chipper Cash : la naissance d’une révolution technologique en Afrique
Malgré des expériences stimulantes dans leurs entreprises respectives, l’enthousiasme des futurs entrepreneurs à l’égard des technologies financières et leur désir de résoudre les problèmes de transferts transfrontaliers d’argent en Afrique ont persisté. Au fil du temps, ils ont pu affiner leur concept et entreprendre de lancer leur solution en fondant leur propre startup.
C’est ainsi qu’au printemps 2018, Serunjogi envoie un texto à Moujaled qui travaillait comme ingénieur logiciel à San Francisco (chez imgur), pour lui dire qu’il était temps de se lancer. Joignant l’acte à la parole, Serunjogi quitte son emploi et emménage dans le studio de Moujaled, renseigne Forbes. Avec leurs 30 000 dollars d’économies et le salaire d’ingénieur de Moujaled, les deux entrepreneurs lancent la version test de ChipperCash , la solution permettant d’envoyer de l’argent gratuitement de l’Ouganda au Ghana, pays d’origine des fondateurs. Quelques semaines plus tard, ils présentent leur version test à plusieurs dizaines de sociétés de capital-risque.
En novembre 2018, 500 startups, un fonds d’investissement et incubateur de startups, injecte 150 000 $ dans la FinTech basée à San Francisco. L’année suivante, l’application Chipper Cash est disponible en Ouganda, au Ghana, au Kenya, au Rwanda puis s’étend rapidement au Nigeria. La même année, en mai 2019, la startup lève 2,4 millions de dollars en financement de démarrage lors d’une table ronde menée par Deciens Capital. Quelques mois plus tard, elle obtient à nouveau 6 millions de dollars auprès de Deciens Capital et Raptor Group. En 2020, les campagnes de financement se poursuivent auprès d’investisseurs, dont Ribbit Capital, Bezos Expeditions VC de Jeff Bezos ou encore Tribe Capital. En 2021, la société réalise un nouveau tour de table en série C de 100 millions de dollars et rejoint le rang des licornes. Ses transactions atteignent 200 millions de dollars au premier trimestre de 2021, puis 1,6 milliard de dollars un an plus tard. L’application gratuite et facile d’utilisation séduit en quelques petites années plus de 4 millions d’utilisateurs et enregistre 80 000 transactions par jour.
Désormais, Chipper Cash est présent en Afrique du Sud et au Kenya en plus des pays cités plus haut. Ses cofondateurs qui avaient pour objectif de résoudre le problème des envois de fonds intra-africains, rêvaient aussi de se lancer aux États-Unis et de faciliter ainsi les envois de fonds de la diaspora vers l’Afrique. Et ils y sont arrivés en moins de 4 ans. En effet, Chipper Cash s’est étendu au Royaume-Uni ainsi qu’aux États-Unis dans le cadre d’une expansion mondiale stratégique.
Les facteurs clés de succès de l’équipe de choc 100% africaine
Quand on lance une entreprise, il est important de le faire avec des cofondateurs qui se complètent par leurs compétences et qui partagent la même vision. Et cela, Serunjogi y croit dur comme fer. Son partenariat avec Moujaled a joué un rôle important dans la croissance de Chipper Cash et son évolution personnelle en tant que PDG. En effet, dès l’université, son actuel associé et Président de Chipper Cash a été un mentor et un ami fidèle. En outre, la capacité de Moujaled à développer des applications et celle de Serunjogi à résoudre des problèmes et à réfléchir hors des sentiers battus ont permis au duo de relever les défis et de mener leur entreprise au succès.
Leur résilience et leur solide réseau les ont également aidés à faire face aux challenges. En effet, les cadres réglementaires diffèrent d’un pays africain à l’autre et il a fallu que l’équipe de Chipper Cash s’adapte de façon continue, tout en travaillant en étroite collaboration avec les acteurs de l’écosystème et les régulateurs. Ainsi, en seulement trois années, les deux entrepreneurs ont réussi à construire une solution permettant au continent d’avoir accès à des services financiers essentiels.
Par ailleurs, rappelons que même si le duo d’entrepreneurs a dû frapper à la porte de près d’une cinquantaine de sociétés de capital-risque avant d’obtenir son premier financement, il a quand même pu compter sur un environnement assez favorable pour développer son business. En effet, le fait d’avoir évolué dans la Silicon Valley a pu jouer quelque peu en la faveur de ces deux technophiles et leur permettre de lever plusieurs centaines de millions de dollars auprès d’une liste de VC de premier ordre.
Depuis leur rencontre au cours de leurs études universitaires aux USA, Ham Serunjogi et Maijid Moujaled savaient déjà qu’ils voulaient créer ensemble quelque chose de grand et d’impactant au profit de leur continent d’origine, l’Afrique. Leurs compétences, leur persévérance et leur amitié aidant, ils ont su construire l’une des entreprises FinTech les plus importantes du continent, évaluée à 2 milliards de dollars, et tout ceci en très peu de temps. Il semblerait que le tandem caresse le rêve de s’attaquer aux cryptomonnaies. Le temps nous le dira.