« La société fintech nigériane Interswitch pourrait devenir la première startup licorne d’Afrique » annonçait TechCrunch, le site d’information américain spécialisé dans l’actualité des startups, en janvier 2016. Alors que le terme « licorne » était encore flou pour bon nombre de personnes en Afrique, le site venait de mettre les projecteurs sur l’entreprise et sur son PDG et fondateur Mitchell Elegbe. Dès lors, le monde de la fintech commençait à s’intéresser à celui qui a pour vocation de “construire quelque chose de durable pour l’Afrique”, comme il le dit lui-même dans sa bio sur Twitter. Mais qui est donc cet homme d’affaires influent du Nigeria qui bouleverse l’écosystème financier et technologique du continent depuis près de 20 ans ? Fanaka&Co vous en parle dans les lignes qui suivent.
De l’électronique à la fintech
Diplômé en génie électrique et électronique de l’Université du Bénin au Nigéria, Mitchell Elegbe a également suivi le programme Global CEO de CEIBS-Wharton-IESE Business School. Ce programme dirigé par trois écoles de commerce de renommée mondiale (IESE Business School, la Wharton School et China Europe International Business School) est conçu pour des leaders afin d’améliorer leur vision stratégique et les doter de nouveaux outils.
Avant de fonder l’entreprise qui l’a fait connaître, Elegbe a eu diverses expériences professionnelles dans de grandes entreprises nationales et internationales. Il a ainsi commencé sa carrière chez Computer Systems Associates Limited (CSA), une société basée à Lagos qui développe des solutions et accessoires TIC. Il y resta une année avant d’être recruté par CSA après son année de service au NYSC (National Youth Service Corps), un programme mis en place par le gouvernement nigérian pendant le régime militaire, pour impliquer les diplômés nigérians dans la construction de la nation et le développement du pays. Après son passage chez CSA, il intègre Telnet, une société nigériane d’ingénierie et de conseil en transformation numérique, où il travaille en tant que business developer. Il déménage par la suite en Écosse pour travailler comme ingénieur de terrain chez Schlumberger Wireline & Testing. Dans son pays d’accueil, il découvre les guichets automatiques qui n’existaient pas encore au Nigeria. Il se mit alors à en rêver pour le Nigeria où les gens n’avaient pas accès aux DAB (distributeurs automatiques de billets) et devaient faire la queue aux caisses des banques, parfois pendant des heures, pour récupérer leur argent. Il pensa alors à solutionner ce problème en développant un système qui rendrait effectif le passage des transactions en espèces aux transactions électroniques à Lagos.
De retour dans son pays, il intègre à nouveau Telnet et partage avec son patron de l’époque son idée de logiciel qui servirait de solution au problème qu’il avait identifié. Le chef est séduit par le projet innovant et donne son accord pour le développement de l’infrastructure. Malheureusement, leur collaboration ne se passe pas comme prévu. L’ingénieur décide alors de vendre son idée de logiciel. Il démarche plusieurs acteurs dans l’industrie financière, mais ces derniers n’étaient pas du tout intéressés. Frustré mais déterminé, il décide de se lancer et de réaliser son projet lui-même, avec juste un diplôme en génie électrique et électronique, et sans aucune expérience préalable dans la banque ou les paiements. C’était le début de l’aventure Interswitch.
D’un petit business de vente de cassettes à la licorne
C’est donc en 2002, que Mitchell Elegbe, alors âgée de 32 ans et sans aucune expérience en gestion, a lancé Interswitch, combinaison de « inter » (d’international, interconnect, interactive) et «switch », avec pour objectif de faciliter les transferts, les dépôts et les retraits d’espèces en Afrique. Pour relever le défi et lancer les activités d’Interswitch, il a pu compter sur le concours d’Accenture (une société spécialisée dans les services et conseils en technologies de l’information) afin de recueillir des fonds pour le lancement de l’entreprise.. A partir de là, il n’était plus question d’un simple logiciel mais d’une infrastructure complexe capable de digitaliser l’économie nigériane, alors essentiellement basée sur l’argent liquide.
Il faut tout de même noter que, si l’entreprise a été construite sur son idée, Mitchell Elegbe a commencé chez Interswitch en tant qu’employé et n’en possédait aucune action. Sa priorité n’était pas d’être propriétaire de l’entreprise mais plutôt de voir l’exécution de l’idée brillante à laquelle il croyait profondément. Plus tard, les résultats impressionnants réalisés par l’entreprise sous sa direction lui ont valu, à lui et à son équipe, des capitaux propres. En effet, Mitchell Elegbe réussit non seulement à créer une société forte, née d’un rêve et de la nécessité de développer des solutions qui répondent aux besoins uniques des clients et commerçants locaux, mais aussi à diversifier les activités de la société, à élargir ses canaux de distribution et à conquérir de nouveaux marchés à travers l’Afrique. Ce qui a engendré une forte croissance des revenus de l’entreprise et des bénéfices.
Mitchell a su concrétiser son projet à une époque où tout le monde pensait que les défis infrastructurels du Nigeria étaient trop difficiles à surmonter. « Pour commencer Interswitch, il fallait surmonter le scepticisme, même parmi les actionnaires… On m’a demandé dans divers cas, comment gérer une entreprise de paiement en temps réel 24/7 dans un pays où le pouvoir n’est pas constant ? Dans un pays où les télécommunications sont encore très peu fiables ? Où les gens que vous ciblez sont principalement amoureux de leur argent? Comment obtenir les ressources humaines nécessaires dans un tout nouveau domaine comme le paiement électronique… » confie-t-il. Malgré les défis et l’ampleur de la tâche, et grâce à sa détermination et à sa résilience, Elebge a su transformer une idée qu’il a nourrie durant des années, en une société de revenus valant un milliard de nairas, et impulser la création d’un écosystème fintech au Nigeria devenue une référence aujourd’hui en Afrique.
En effet, Interswitch est devenue en 2019, la première licorne du Nigeria et du continent, soit 3 ans après les prévisions de TechCrunch. Le 31 janvier 2020, elle a inscrit une obligation de 23 milliards de nairas à la bourse nigériane via un véhicule spécial appelé Interswitch Africa One Plc.
Notons par ailleurs qu’avant d’être cet entrepreneur à succès que nous connaissons aujourd’hui, Mitchell Elegbe, pour faire face à la précarité qu’il a connue en tant qu’étudiant, a créé à l’époque, un petit business qui consistait à faire des copies des cassettes qu’il empruntait à des amis, pour les vendre. Quelques années plus tard, et depuis près de deux décennies, il est devenu un entrepreneur reconnu qui offre des services de coaching de développement de carrière, de leadership, de business et management consulting.
La reconnaissance d’un visionnaire et pionnier nigérian
Changer l’écosystème fintech au Nigéria et en Afrique ne se fait pas sans rafler quelques prix sur son passage. Et c’est ce que Mitchell Elegbe a réalisé. En 2012, il a reçu le West Africa Business Leader Award, lors des All African Business Leaders Awards (AABLA) organisés par CNBC Africa.
En reconnaissance de son succès avec Interswitch, il est récompensé du prix African Leadership Network, en plus du Transformational Business décerné par l’African Leadership Network lors des Africa Awards for Entrepreneurship en 2013. Le prix est décerné aux dirigeants d’entreprises remarquables ayant créé un impact socio-économique important en Afrique, en construisant une entreprise dont les revenus sont supérieurs à 50 millions de dollars américains. Il s’agit d’une des récompenses les plus distinguées axées sur l’Afrique, offrant plus de 200 000 dollars à des entrepreneurs africains exceptionnels.
En 2014, il remporte le prix Deloitte croissance rapide 50. Un an plus tard, il reçoit le prix Ernst and Young de l’entrepreneur de l’année et le prix leadership de la Harvard Business School Association (Nigeria) dans la catégorie gestion générale. En 2019, Mitchell a été nommé Icône du banquier africain 2019 par The African Banker.
Elegbe doit sans doute ses distinctions, bien sûr à son travail acharné, mais aussi à son leadership. Mitch, comme on l’appelle affectueusement, encourage ses collaborateurs à être créatifs, à exprimer leurs points de vue, à poursuivre leurs idées et passions qui ne sont pas directement liées à leur description de poste. Il est dit qu’il aime encadrer des jeunes entrepreneurs. C’est d’ailleurs une passion qu’il exprime très bien au sein du conseil d’administration d’Endeavour Nigeria.
Mitchell Elegbe est un leader incontesté qui dirige Interswitch d’une main de fer dans un gant de velours, depuis presque 20 ans. Grâce à une vision et une détermination hors du commun, il a réussi à créer et transformer le secteur financier nigérian, alors habitué à l’argent liquide, et dans un écosystème encore embryonnaire. C’est certainement un visionnaire à suivre de près.